SABINE GRANDADAM
COURRIER INTERNATIONAL
28 MAI 2014
Ils sont architectes et ont décidé de se consacrer à des communautés délaissées ou marginalisées. Du Chili à la Chine, leur savoir-faire est basé sur la participation des habitants à leurs projets et sur une économie de moyens, mais pas d'idées. Promenade chez les architectes engagés.
MDW, Belgique, rénovation d'une friche industrielle, Bruxelles
C'est un frémissement, une petite vague encore discrète, observe le quotidien espagnol El País. L'architecture change, s'affranchit de la démonstration grandiloquente et des projets aussi géants que dispendieux. “En ce début de XXIe siècle, l'architecture s'immisce dans les quartiers pauvres et éloignés du pouvoir dont elle a toujours été absente. Et ce nouveau terrain d'action, porté par des motivations sociales et culturelles, alimente le débat.”
Il n'y a toutefois guère de débat pour le Chilien Alejandro Aravena, qui anime le cabinet Elemental à Santiago. Sur le continent sud-américain où il vit, l'urbanisation chaotique, pourvoyeuse de marginalisation sociale, lance un défi de taille à l'architecte : “construire une ville d'un million d'habitants chaque semaine, avec 5 000 dollars par logement”. Mais la construire, estime Alejandro Aravena, en offrant aux plus démunis un vrai statut de citadin, avec des habitations modestes installées au cœur de la cité et de ses infrastructures.
C'est ainsi qu'a été conçu un nouveau quartier pour 100 familles à Iquique, au nord du Chili. L'agence Elemental a construit des logements sociaux sur le terrain d'une favela et proposé aux habitants de terminer eux-mêmes l'ouvrage, tant pour maîtriser les coûts que pour inciter les bénéficiaires à s'approprier le projet collectif. “Pour Aravena, note The Guardian qui décrit l'architecte chilien comme un ‘égaliseur’, les villes constituent le meilleur des outils dont disposent les décideurs pour faire accéder les plus pauvres aux opportunités économiques, plutôt que de recourir à de lourds mécanismes de redistribution des richesses.”
Système D et local
Pour atteindre cet objectif, les architectes doivent parvenir à dépasser des contraintes de coûts qui les incitent souvent à s'écarter des projets sociaux peu dotés de moyens financiers, souligne Alejandro Aravena. Qu'à cela ne tienne. En Equateur, l'agence Al Borde affiche comme un manifeste son positionnement d'“architecture solidaire”, et ses créateurs ont appris à redoubler d'ingéniosité pour tenir avec de maigres budgets.
Ils en ont fait leur marque de fabrique en répondant à des projets “de nécessité sociale”.
Pour réaliser l'école Nueva Esperanza à Puerto Cabuyal, une localité côtière dans la province de Manabi, Al Borde disposait de très faibles subsides. Les architectes ont donc recouru “à ce qu'ils avaient à leur portée”, relate le blog La Urbana, “les matériaux locaux qu'ils ont recyclés, et surtout le coup de main et les traditions des habitants en matière de construction”. Le résultat est une immense hutte sur pilotis aux murs de rondins de canne à sucre et au vaste toit de chaume, une bâtisse ouverte vers la mer, d'inspiration traditionnelle mais apportant la touche contemporaine de ses volumes et espaces intérieurs. Contrairement à la plupart des écoles construites en dur et équipées de grilles, celle de Nueva Esperanza est “une école active, différente, où les enfants sont libres et dont la principale enseignante est la mer”, confiait Pascual Gangotena, membre de Al Borde, à l'agence Efe.
Cette même conviction qu'il convient d'utiliser systématiquement les ressources locales disponibles – “les êtres, la matière” – conduit Anna Heringer à encourager les habitants du Bangladesh, de l'Autriche ou de la Chine à renouer avec un savoir-faire considéré comme obsolète face aux techniques et aux matériaux “modernes”.
Cette architecte allemande, qui a fait ses débuts au sein d'une ONG et travaille actuellement en Chine, a par exemple réintroduit le bambou, matériau quasi abandonné par la population, pour la construction d'une auberge de jeunesse aujourd'hui très appréciée dans la province du Zhejiang, au sud de Shanghaï. Comme d'autres architectes récemment réunis à Vienne pour une exposition sur le thème “Build Social” [Bâtissons social !] écrit Die Presse,
Anna Heringer “utilise l'architecture pour renforcer l'initiative, la responsabilité et la créativité des individus, pour leur faire prendre en main leur devenir afin qu'ils créent eux-mêmes les infrastructures qui leur manquent avec des moyens modestes, de la fantaisie et leurs traditions”.
Urgence
Bâtir un refuge pour des populations acculées, un orphelinat de fortune… certains professionnels se spécialisent dans l'architecture d'urgence, née au XXe siècle avec Jean Prouvé qui a construit la première “maison des sinistrés”, à Nancy en 1944, pour accueillir des populations de Lorraine qui se sont retrouvées sans-abri.
L'urgence est le thème de recherche privilégié des architectes norvégiens de Tyin Tegnestue, une ONG créée en 2008 par Andreas Grontvedt Gjertsen et Yashar Hanstad. Alors étudiants, ils s'impliquent dans la construction d'un orphelinat (Safe Haven) pour des enfants karens, une ethnie birmane persécutée par le pouvoir de la junte militaire de Rangoon (qui a pris fin officiellement en 2011).
Plutôt que de rassembler tous les enfants sous un même grand bâtiment, les architectes choisissent de bâtir six pavillons légers – baptisés les “maisons papillons” – à base de troncs d'arbres et de bambou, et de recréer ainsi un esprit village, décrit le magazine Wired. “Ils ont créé un habitat qui répondait aux besoins des enfants tout en projetant leur créativité, permettant ainsi au projet d'afficher des formes contemporaines.”
Au fil des expériences en Thaïlande, en Indonésie ou en Norvège, les "Tyin" ont fait de la démarche d'urgence architecturale une pédagogie qu'ils enseignent.
Renouer avec le passé industriel
Les friches industrielles de nos vieux pays d'Occident sont souvent jugées encombrantes et leurs terrains sont convoités pour y construire de vastes infrastructures. Et pourtant, ces friches offrent à la mémoire des hommes un riche emblème de leur histoire. Des architectes belges de l'agence MDW ont pu sauver un spécimen de ce patrimoine, une ancienne savonnerie située au cœur de Bruxelles. Ils l'ont reconvertie en petits immeubles d'habitation répartis sur un bel espace. Originaux et écologiques, les appartements et petites maisons de la Savonnerie Heymans forment désormais un ensemble moderne et contemporain “dont les terrasses fermées habillées de verre offrent un écran thermique et acoustique et protègent la vie privée des habitants” note le blog Archdaily. Espaces collectifs et jardins, ludothèque et salles communes sont là, tout autant que l'authentique cheminée d'usine en brique, pour rappeler que le lien social devrait rester le ciment de nos sociétés. Comme il l'était hier, au temps des usines au cœur de la ville.
Ver mais:
http://www.courrierinternational.com/article/2014/05/28/architectes-du-social?page=all
2 de junho de 2014
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